Se cultiver (un peu), s’informer (beaucoup), apprendre rien?
Tout comme la majeure partie de ce qui est édité, publié, écrit dans nos kiosques et sur la toile, je brasse de l’air conditionné, je mouds du grain pré-digéré. Je me cultive quoi…
Et je m’en satisfais.

Cela fait quelques années que je ne mets plus les pieds dans une bibliothèque ou dans une librairie. J’achète mes livres sur Internet pour ne pas avoir à culpabiliser devant les couvertures d’ouvrages qui font le tapin sur leur étagère. Je vais assez peu dans les musées, et souvent c’est pour accompagner des amis qui « font des expos » comme on « fait le Mont Blanc » ou le Vietnam.
Après avoir échoué lamentablement à mon inscription en fac de philo (je n’ai pas réussi à rendre un dossier complet au secrétariat), je n’ai actuellement aucune velléité à assister à un cours de quoi que ce soit.
Je me cultive (un peu), je m’informe (beaucoup et mal), mais je n’apprends plus rien.
Pourtant, j’en ai avalé des trucs les premières années de ma vie. Les fondamentaux. Pas si bien que ça d’ailleurs. Je sais écrire mais c’est illisible. Et avec des fautes. Je sais calculer mais la table des 7 m’est toujours compliquée. Je dessine mal, je ne sais pas ce qu’est un cosinus, je suis incapable de raconter ce qui s’est passé entre la révolution française et la Première Guerre mondiale, je ne maîtrise pas les langues étrangères, et je ne sais toujours pas faire mes lacets.
Mon apprentissage est parsemé de lacunes plus ou moins avouables que je gère au quotidien.
J’ai toujours été plutôt content d’apprendre. Il valait mieux d’ailleurs, le système scolaire étant plutôt exigeant sur notre niveau de curiosité ou de motivation.
Plus je m’interroge sur mes apprentissages récents, plus je me rends compte qu’ils sont flous et peu satisfaisants.
Si on m’interrogeait sur le nucléaire, la dette en Europe, la gravité, le VIH, comment marche Google ou pourquoi le feu brûle, j’aurai des réponses toutes faites, satisfaisantes au quotidien mais en creusant un peu, le niveau de compréhension ne serait probablement pas meilleur qu’une rédaction d’un élève de 3ème.
Petit, j’apprenais pour le plaisir et pour pouvoir faire des choses, ensuite se rajouta la sanction de l’évaluation et la gratification (ou non) de la note.
Maintenant l’apprentissage n’est plus une nécessité. Et c’est un petit drame pour moi. Je lis beaucoup, partout, tout le temps. Mais ce que je lis me conforte dans ce que je pense et ce que je pense me pousse à lire ce qui me conforte.
Je vais souvent sur des sites Internet qui sont loin de mon système de valeurs, espérant apprendre des choses qui me seraient étrangères, mais croyant penser contre moi-même, je ne fais que conforter ma position. Je pensais que la fréquentation de Causeur, salon-beige, atlantico, fdesouche, le figaro m’apporterait une autre vision du monde, un autre langage, d’autres aliments intellectuels, ils ne sont que le miroir stérile de ce que je lis déjà.
Je peux penser le monde en lisant les éditos de nos chères magazines, je peux avoir un avis politique en écoutant nos chers journalistes interroger nos chers politiciens, je peux me cultiver grâce à la culture classique, la culture populaire, la sous-culture, la contre-culture, mais qu’aurais-je appris ?
Tout comme la majeure partie de ce qui est édité, publié, écrit dans nos kiosques et sur la toile, je brasse de l’air conditionné, je mouds du grain pré-digéré et je m’en satisfais.
Je sais que la connaissance est ardue à ingérer, sans complaisance, violente parce que remettant en cause les schémas mentaux établis, pénibles parce qu’intransigeante.
Je ne pense pas avec des faits scientifiques, je ne réfléchis pas à partir de la pensée des grands auteurs, je ne me questionne plus au quotidien sur pourquoi les nuages volent, les bateaux ont-ils des jambes et la démocratie, une imposture.
La viande de cheval et les excréments m’ont définitivement fâchés avec les plats préparés, mais je suis encore dépendant de la pensée toute-faite, pratique, rapide et sans prise de tête.
Il y a quelques années, j’ai passé des semaines à jouer à Grand Thief Auto IV tout en écoutant France Culture pour me déculpabiliser de passer mon temps à me divertir. Maintenant quand je joue à un jeu vidéo, c’est par flemme de sortir boire des coups au bar.
J’apprends des choses qui ne me servent à rien (le classement de ligue 1, le nom des députés UMP, …) je m’intéresse à de l’anecdotique (directioner contre belieber), je me cultive aux séries américaines aux ressorts comiques dérangeants comme l’esthétique IKEA.
Bref, je deviens con ou plutôt je reste con. « Ce que je sais c’est que je ne sais rien » disait l’Ancien. Du coup, on est deux cons. C’est déjà un début.
En vrac, parce que j’ai envie d’aller lire un manga...
- « La chair est faible hélas et j’ai lu tous les livres ». T’as bien de la chance, moi je la trouve plutôt résistante et ma pile de bouquins non lus turgesce.
- La culture c’est comme la confiture… Au fond d’une bouteille vide ça sert à attraper les mouches.
- Il y a des gens qui pensent brillamment sans culture et des gens qui pensent de travers malgré de solides connaissances, que faire des gens qui pensent de travers et qui sont sans connaissances ? De la télé-réalité…
- On peut passer sa vie à acquérir du Savoir, on meurt quand même… Chouette, je me sens mieux !