20130828


Cigarettes électroniques, arnaques journalistiques et paranoïa collective: les produits chimiques, nos amis pour la vie


Des substances chimiques dans les E-cigarettes selon 60 Millions de consommateurs ? Même pas peur ! Où l’on découvre qu’un produit chimique n’est pas ce que l’on croit, et que Dame Nature nous réserve encore de bien mauvaises surprises…

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Aujourd’hui, tout le monde a peur des produits chimiques. Ils sont partout, ils sont nouveaux, ils sont cachés, teigneux, armés jusqu’aux dents et déclenchent le cancer où ils passent plus vite que dans une randonnée de nudistes à Fukushima. On les retrouve dans tout ce qu’on mange, boit et respire, et même dans ce qu’on croit inoffensif.
60 Millions de Consommateurs vient de nous le révéler, le menton tremblant d’effroi: il y a des produits chimiques dans la cigarette électronique. Ah les salauds! On prétend nous vendre un moyen d’éviter le crabe, et alors qu’on le croyait parti en fumée le voilà qui revient en vapeur. Michel se dresse dans ses charentaises et lance son poing vengeur vers la télévision : « Ne serais-je bientôt plus qu’on petit morceau de plastique tout métastasé par  leur foutue industrie ? Mon destin est-il de ne pouvoir cesser de me battre ? Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre etc …»

On comprend le pauvre Michel bien accablé par tant de complots. Cependant pour éviter de tomber comme lui dans le Picon bière à 9h du mat’ et de voir des moustiques espions américains tourner autour des cacahuètes, il convient de trier le bon grain de l’ivraie. Et les copains y a du boulot !

PERE CASTOR, C'EST QUOI UN PRODUIT CHIMIQUE ?

IMG 7436 Cigarettes électroniques, arnaques journalistiques et paranoïa collective: les produits chimiques, nos amis pour la vie
Produits chimiques, ça sonne plutôt angoissant.  Le labo, avec le savant fou en blouse, lunettes, gants blancs en plastique et pots en verre (béchers et erlenmeyer, pour les puristes) d’où un liquide vert fluo éructe une dense fumée blanche. On a peur des produits chimiques, parce qu’il y a le mot chimie dedans et que, bizarrement, on est persuadé que cela est synonyme d’artificiel, donc pas naturel, donc dangereux. Parce que la nature c’est bien. C’est bio.

Achtung première idée reçue : absolument tout est produit chimique. Oui Michel, même ton Picon. « Ah les salauds, pas mon Picon ! ». Si (gnark, gnark). La chimie est une discipline qui s’occupe de toutes les substances existantes, artificielles ou naturelles ; à l’échelle des molécules, elle étudie leurs effets et leurs interactions. Un produit chimique est donc un produit étudié par la chimie, qu’il soit naturel ou artificiel. Prenez à peu près n’importe quoi qui vous tombe sous la main, une tomate, un nain de jardin ou une feuille de papier : il n’est composé que de produits chimiques.
La première distinction qui devrait être faite n’est donc pas produit chimique / produits naturel, mais produit chimique naturel/ produit chimique artificiel. Ce n’est peut-être que du vocabulaire mais à force d’entendre les ignorants se tromper sans cesse, ça irrite. Quand on ne sait pas on se tait. Vous maintenant vous savez, vous pouvez l'ouvrir. CQFD

Une fois cette distinction faite, on n’a pas vraiment fait avancer le shmilblick. La dangerosité des produits n’y est pas liée du tout. La plupart des choses toxiques est 100% naturelle. Mercure, plomb, cyanure et tous ces machins qu’on n’a pas vraiment envie de rajouter dans les pâtes: ils sont tous parfaitement naturels.  Si jamais vous voulez empoisonner quelqu’un, ne vous embêtez pas à essayer d’inventer un nouveau produit chimique artificiel. La nature en a des milliers en stock.

C'EST LA DOSE QUI FAIT LE POISON

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« Mais alors comment savoir ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas ? » Excellente question Michel, mais un poil à côté de la plaque. Et oui, Michel, ta question ne veut rien dire. On ne t’en veux pas, tu ne pouvais pas savoir. 
Michel, rien n’est dangereux en soi, et tout l’est potentiellement. Voici le sacro-saint principe de la chimie : c’est la dose qui fait le poison. Pour un produit chimique, savoir s’il est dangereux ou pas n’a pas de sens. La vraie question est à partir de quelle dose ce produit est dangereux. On peut ensuite classer les produits du plus dangereux au moins dangereux en fonction de la dose nécessaire pour induire des dommages. 
Une dose microscopique de cyanure vous tue,  alors qu’il faut boire plusieurs litres d’eau d’une traite pour en mourir.  Il n’y a aucun produit impropre à la consommation, du moment que vous ne dépassez pas la dose. Il n’y a aucune substance sans danger, si vous dépassez la dose.  Oui, vous pouvez consommer du mercure, du plomb, du cyanure ou de l’arsenic. Mais pas trop hein, déconnez pas.

Voilà pourquoi l’étude de 60 Millions de Consommateurs est absurde (ou plutôt l’article présentant ses résultats) : « il y a des produits chimiques dans la vapeur de cigarette électronique ». Putain de scoop ouais. En fait, ce n’est en rien surprenant; aujourd’hui les capacités de détection permettent de trouver jusqu’à plusieurs milliers de substances chimiques différentes dans n’importe quel échantillon. Les seuils de détection sont si bas qu’on peut trouver quelques molécules d’à peu près n’importe quoi n’importe où. 
En cherchant bien, on doit pouvoir trouver des traces de mercure ou de cyanure dans l’eau de votre robinet, sur votre brosse à dents, dans votre teckel à poil roux ou sur la barbie Nabilla de la petite dernière. Mais à des doses tellement infimes que votre corps ne s’en rendra même pas compte. 

La seule question valable est « Est-ce que les quantités détectées dépassent les seuils de dangerosité ? ». À cette question, vous ne trouverez pas la réponse dans l’étude de 60 Millions de Consommateurs. Etrange hein? Pourtant, sans elle, l’étude ne vaut plus rien. « Il y a des produits chimiques dans la vapeur de cigarette électronique». Dans la vapeur de ton autocuiseur aussi Michel. La question c’est combien, Michel, tu comprends ? COMBIEN ?

Il se pourrait bien que la cigarette électronique soit effectivement nocive, encore faudrait-il le démontrer proprement. Il suffirait de donner les niveaux mesurés, les seuils recommandés et de comparer ! En dessous ce n’est pas dangereux, au-dessus c’est dangereux... Au lieu de cela, dans une grande tradition Le Pointesque, l’article ne semble vouloir qu’exciter la fibre paranoïaque de son pauvre lectorat bien en mal de comprendre quoi que ce soit dans cette jungle d’études anxiogènes. On utilise des mots savants, des glycoles de néoprène, des butal-gazole E432 et des methyl-2-benzylate.  Waouh, et tout ça dans mes petits poumons ?

Les chimistes sont des scientifiques, ils ont donc tendance à donner des noms compliqués à tout ce qu’ils étudient. Par exemple, tous les additifs alimentaires sont identifiés depuis 1986 par une nomenclature particulière. Quand les études scientifiques concluent qu’un additif est sans danger, on lui donne un numéro commençant par E. On les retrouve quasiment tous dans la nature : le vinaigre c’est E260, le caramel E150a, et l’acide benzoïque c’est E210. C’est quoi l’acide benzoïque ? Un conservateur. Vous faites pouah ? Ah oui, un conservateur c’est forcément mauvais... En l'occurrence, l’acide benzoïque est extrait d’airelles.  En réalité, voir un colorant E quelque chose, c’est bon signe, il a été déclaré sans danger ! Ah ça vous la coupe hein? Combien de fois vous avez regardé la liste d’ingrédients d’un bête pain de mie en vous disant « Mon dieu, c’est tout artificiel ! ».  Que nenni, il se peut que tous les ingrédients au nom barbare ne soit que des substances naturelles dûment extraites et étiquetées par un barge en blouse, qui trouve plus poétique d’appeler l’eau du monoxyde de dihydrogène.

UN GRAND CONTROLE EUROPEEN EXISTE

Il faut faire confiance aux institutions, qui font tout leur possible pour étudier la dangerosité des substances et protéger le citoyen. Bien sûr il faut être vigilant, exiger que les méthodes d’analyses soit le plus fiables possible, indépendantes, etc. Mais le grand public ne réalise pas l’immense travail mené pour le protéger.  Oui, c’est de toi qu'on parle Michel: ingrat! Toutes les substances qu’il est susceptible de rencontrer dans sa vie sont étudiées et un seuil de dangerosité lui est associé, qui est largement augmenté pour prendre en compte la variété des sensibilités des différents organismes.

Connaissez-vous le programme REACH ?
Jusqu’à 2007, les différents Etats de l’Union Européenne avaient répertorié et étudié environ 100 000 substances chimiques présentes dans les produits que nous utilisons au quotidien. Dans le but de protéger le citoyen et d’appliquer le principe de précaution, une nouvelle législation a été mise en place pour aller plus loin plus vite : chaque entreprise produisant ou achetant des produits chimiques doit maintenant les déclarer publiquement, et aucune nouvelle substance ne peut être utilisée si son innocuité n’est pas d’abord prouvée.  Un organisme tient à jour publiquement l’ensemble des substances déclarées ainsi que le résultat de leur dangerosité.  Cette nouvelle approche a permis de déclarer déjà près de 2 millions de substances chimiques et leur effet. Désormais, toute la production et la consommation chimique européenne est tracé, contrôlé, et vérifié.

CANCER ET PRODUITS NATURELS

Qu’y-a-t-il Michel ? Au bout d’un moment, ça finira bien par te filer le cancer tous ces pesticides et autres produits « artificiels » mal étudiés par des lobbys à la solde de Monsanto? Je vois que tu es dur à convaincre.

99,99% des substances que tu ingères sont naturelles. Même les pesticides. Et oui ! La nature crée énormément de pesticides : les plantes se protègent des champignons, des insectes et autres prédateurs.  En moyenne, un Américain ingère entre 5 000 et 10 000 pesticides naturels. Toi Michel je ne sais pas, je n’ai pas trouvé les chiffres français. Mais à mon avis ça n’est pas très loin. Cela fait environ 1,5 milligrammes par jour, soit 10 000 fois la dose quotidienne de résidus de pesticides synthétiques.  Oui, tu as bien entendu. 10 000 fois. Quels sont les effets de ces pesticides naturels à long terme ? Bof, on ne sait pas trop, on étudie plutôt les pesticides artificiels, vu que les gens ont plutôt peur de ceux-là. Mais dans les études sur les rongeurs, on les trouve tout autant cancérogènes, si tu veux savoir. Finalement, tu vois la nature n’est pas si sympa que ça et un bon pesticide bien de chez nous, bien étudié sous toutes les coutures et consommé 10 000 fois moins, ce n’est pas si mal.  On fait moins le malin déjà, non ? Quoiqu'il en soit, rassure-toi Michou: il y a d’autres causes du cancer beaucoup plus importantes et très bien identifiées.

Le cancer est avant tout dû au vieillissement. Et oui, le cancer fonctionne ainsi: l’ADN se casse par oxydation pouvant entrainer la création de cellules cancéreuses, c’est-à-dire malades, qui refusent de mourir, et se propagent. Plus on vieillit, plus la cellule est poreuse à ces oxydants qui viennent casser l'ADN. On n’y peut rien, c’est comme ça, les cellules fatiguent et laissent passer n’importe quoi. Mourir jeune est donc une bonne façon d’éviter le cancer.

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Ensuite le tabac est le deuxième grand facteur de cancer. A lui seul il est à l’origine de 30% des cas. Les oxydants contenus dans la fumée (principalement des oxydes d’azotes)  déciment les antioxydants de l’organisme. Un fumeur doit consommer deux à trois fois plus de vitamines C qu’un non-fumeur, ce qu’il fait rarement. L’oxydation de l’ADN est donc beaucoup plus fréquente chez un fumeur.

Enfin ce sont les déséquilibres alimentaires qui sont responsables pour un tiers dans le risque de cancer.  Un tiers ! La carence en vitamine folate par exemple, crée des lésions génétiques lorsqu’on descend en dessous d’un certain seuil. Il parait que 10 %  de la population américaine serait en dessous de ce seuil ! Alors d’accord ils mangent mal, mais quand même. La carence en vitamine niacine aussi est un facteur de risque car cette vitamine aide à réparer les brins ADN. Grosso modo, la solution, elle est là : en optimisant nos niveaux de consommation de ces différentes vitamines, on pourrait réduire significativement nos risques de développer un cancer. C’est dans ce sens qu’il faudrait faire des études ; elles sont aujourd’hui trop peu nombreuses : on pourrait alors mieux connaitre les effets des différents antioxydants, et sensibiliser les gens au lien entre alimentation et cancer.

 




6 réflexions au sujet de « Cigarettes électroniques, arnaques journalistiques et paranoïa collective: les produits chimiques, nos amis pour la vie »

  1. Bon, Y'a beaucoup de choses vraies dans ce que tu racontes, Jean-Denis, et j'avoue que c'est penible ce genre d'article hyper alarmistes et scientifiquement a cote de la plaque, presque autant que les gens qui reclament toujours plus de nature (ah, mais au fait, c'est quoi la nature? L'homme n'en fait pas partie par hasard?). Par contre, va falloir relire un peu de litterature sur les causes DES cancerS (y'en a pas qu'un malheureusement) car les limiter a l'oxyation cellulaire, c'est vraiment TRES reducteur. Si c'etait si simple, on boufferait tous des fruits rouges par tonnes!

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  2. qu'est-ce qu'il y a de mal à commencer le picon à 9h du mat ? Sinon, un article intéressant que je devrais faire lire à mes connaissance qui ne jurent que par "la santé par les plantes"

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  3. Je laisse à d'autres le plaisir de me reprocher que je fais du militantisme... mais en effet la dangerosité d'un produit chimique naturel ou non, vient de sa concentration... 20% d'oxygène dans l'air que je respire, c'est bon pour la santé... 100 %... Première inspiration... Gros délire, le cerveau tourne à plein régime... deuxième inspiration... on se rapproche de la dose létale... Attention danger...

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  4. Pas tout à fait d'accord avec toi... "la dose fait le poison", quand il n'y a qu'une substance, oui. Quand on fait de l'écotoxicologie, on se rend vite compte que les produits ont des effets dits "croisés". Et alors là, ça devient encore plus difficile de déterminer des seuils, notamment parce que certains produits, s'ils sont croisés, ont plus d'effet nocif à petite dose qu'à grande dose. Pour le reste, je suis d'accord que cette étude 60 millions de consommateurs manque un peu de rigueur.

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  5. L'article est intéressant mais pourquoi cette hargne envers les Michel? J'en connais de très bien, qui furent même chimistes.Quant aux moyens financiers du lobby des cigarettiers, ils feraient écrire n'importe quoi à un journaliste auquel on a refilé une feuille avec une liste de substances détectées dans la fumée de cigarettes électroniques pour qu'il puisse écrire un article alarmiste qui fait passer le tabac comme "naturel " => sans danger.

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  6. Les lobbies du tabac n'ont pas payé des repas à 10 000 euros à des députés pour des cacahouètes. La cigarette électronique sera jugée non dangereuse quand les industriels qui la produisent auront payé leurs subsides aux politiciens et aux laboratoires qui se chargent des contrôles. La note sera salée, parce qu'en face d'eux, ils ont l'industrie du tabac (pour les cigarettes), les pharmaciens (pour les patchs) et l'État (pour les taxes).
    Alors, ne nous étonnons pas de la propagande qui va nous être servie sur le sujet...
    En attendant, pour savoir comment la corruption pourrit la vie des citoyens et comment les décisions sont prises en haut lieu, vous pouvez aussi lire "On les croise parfois", écrit par votre humble serviteur.
    http://amzn.to/17aNEKu

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