20130108


Comment un geste anodin a sauvé des milliers de vies


Les problèmes les plus complexes ont parfois des solutions simples.
Encore faut-il en avoir l’idée.

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Aujourd’hui dans les pays industrialisés, le taux de mortalité maternelle est de 9 pour 100 000 naissances. On oublie trop souvent que dans un passé pas si lointain, notre santé était bien plus précaire : il y a seulement 100 ans ce chiffre était plus de 50 fois plus élevé ! La fièvre puerpérale se déclarait pendant de nombreux accouchements et provoquait souvent la mort de l’enfant et de la mère.


ACCOUCHER AU XIXEME SIECLE : UNE AVENTURE RISQUEE

Dans les années 1840, tous les plus grands hôpitaux d’Europe étaient touchés. A l'hôpital de Vienne, sans doute l'un des plus performants de l'époque, jusqu’à une accouchée sur 6 décédait de cette fièvre. Toutefois, personne ne connaît alors les causes de cette maladie. Les microbes n'ont pas encore été découverts, et dans certains domaines, la médecine, c’est carrément du Molière.
On prétend qu’il peut s’agir d’un refroidissement, de la rétention du lait dans l’abdomen, de la présence de médecins hommes offensant la pudeur de la parturiente, etc… Bref on patauge, on tente des trucs bizarre, on s’engueule. Pendant ce temps-là, la mortalité ne baisse pas.

Heureusement, un homme refuse la fatalité (musique). Un homme n’admet pas l’échec, et veut se dresser contre le destin: cet homme, c’est... Mac Gyver? Jack Bauer? Harrison Ford? Mieux: il s'agit d'un jeune médecin hongrois, Ignatz Semmelweis. Il vient d’être nommé directeur adjoint de la maternité, et décide de prendre le problème à bras le corps. Ne supportant pas de voir autant de femmes mourir dans son hôpital, sans raison apparente, il décide de faire de la lutte contre la fièvre puerpérale une priorité.

L'ENQUETE

Semmelweis fait un premier constat: il y a soixante fois moins de mortalité lorsqu’une femme accouche chez elle aidée d’une sage-femme. Et quand il réalise qu’il est plus dangereux de venir dans son hôpital que de rester chez soi, forcément Ignatz est un peu colère. Néanmoins, son premier mérite est de reconnaître que personne ne comprend rien à cette étrange maladie. Quoi que l’on fasse, il semble que rien ne fonctionne. Il décide donc de tout reprendre depuis le début. Et d’observer tous les petits détails.

Semmelweis va alors collecter tous les chiffres possibles pour y voir plus clair. Son hôpital pratique des milliers d’accouchements par an, les archives sont pleines et les stagiaires désoeuvrés; aussitôt dit aussitôt fait, voilà tout notre beau monde qui dépouille, trie et compte. Et les résultats jettent un peu plus le trouble dans les esprits.
Les accouchements sont pratiqués dans deux pavillons distincts. L’un est sous la responsabilité de médecins hommes, et l’autre de sages-femmes. Et l’écart est très important : il y a plus de deux fois plus de décès dans le pavillon dirigé par les hommes !*

LE DOUTE ET LE DECOURAGEMENT

Semmelweis a l’impression de tourner en rond: il accumule les données mais ne parvient à en tirer aucune conclusion. Il reste de longues heures, après son service, à réfléchir dans son bureau.
Est ce que les femmes admises dans le pavillon des hommes sont plus fragiles ? L'argument ne tient pas, les femmes sont réparties aléatoirement suivant le jour de la semaine dans l’un ou l’autre des pavillons. La question l'obsède: pourquoi y a-t-il plus de morts chez les médecins que chez les sages-femmes ? Le modus operandi est pourtant le même, les pavillons sont semblables, les draps identiques, les produits utilisés aussi. Il ne trouve aucun début d’explication rationnelle et commence à désespérer.

Semmelweis, bien enfoncé dans son fauteuil, tire longuement sur sa pipe en regardant le plafond. Tous les registres sont devant lui, mais depuis maintenant trois longues nuits qu’il les parcourt, rien de compréhensible n’en ressort. Et si les femmes étaient réellement offensées par la présence d’hommes ? Le voilà même prêt à explorer cette hypothèse saugrenue. Alors il se replonge dans les registres. Y aurait-il quelque chose qui permettrait de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse ? Il additionne, compare, vérifie. Lorsque le petit matin se lève, il en est convaincu. Cette hypothèse ne tient pas: la mortalité chez les nouveaux nés est également deux fois plus forte dans le pavillon dirigé par les médecins. Et il n’y a aucune raison pour que les petits garçons se sentent offensés d’être mis au monde en présence d’hommes. Semmelweis pousse un soupir et enfile sa blouse pour faire sa tournée du matin.

Le soir, de guerre las, Semmelweis s’assoit quelque minutes à son bureau pour tenter une nouvelle fois de faire le bilan.
Quels sont les faits ? On sait que les femmes qui accouchent dans la rue et arrivent après ne contracte pas la maladie. On sait que les médecins n’attrapent pas cette fièvre. On sait aussi que les femmes dont le col de l’utérus est dilaté depuis plus de 24 heures tombent presque toutes malades. Les chiffres dansent quelques minutes devant ses yeux. 1 989 décès sur 20 042 naissances dans le pavillon des médecins, 691 décès pour 17 791 naissances dans le pavillon des sages-femmes …
Mais pourquoi, POURQUOI ?

De rage il pousse tous les papiers de son bureau par terre, et décide de rentrer chez lui pour récupérer un peu de ce sommeil qu’il semble avoir gaspillé pour rien. Dans le couloir, un étudiant lui apprend la mort d’un professeur de médecine. Un étudiant lui avait coupé le doigt accidentellement avec son scalpel pendant une autopsie quelques jours auparavant, et après avoir contracté péricardite, péritonite et méningite il venait finalement d’en mourir.


LA REVELATION

Semmelweis est anéanti. Il admirait beaucoup ce professeur et en était très proche. Ses recherches infructueuses de ces dernières semaines l’ont épuisé, et cette nouvelle ne fait qu’alourdir le poids qu’il sent sur sa poitrine. Il se couche la tête bourdonnante, sûr de s’endormir aussitôt. Mais le sommeil ne vient pas. Quelque chose le tient éveillé. Quelque chose le perturbe, mais il ne sait pas quoi. Il repense à son vieil ami, et dans son esprit à moitié assoupi le voilà qui se mélange aux images des femmes enceintes atteintes de fièvre. Alors Semmelweis ouvre les yeux et se dresse sur son lit.

Mais bien sûr, s’écrie-t-il ! Tous les symptômes qui l’ont touché sont les mêmes que ceux qui touchent les femmes enceintes. La méningite, la péritonite ! Son système vasculaire a été contaminé par des particules cadavériques. Tous le monde est d’accord sur les raisons de sa mort. Et si les femmes enceintes avaient également été contaminées par la même chose ? Depuis plusieurs années maintenant, les plus grands hôpitaux universitaires mettent un accent particulier sur l’enseignement de l’anatomie. Etudiants et médecins autopsient à tout va, passant directement de la table d’autopsie à la salle de travail. Et si leurs mains portaient encore ces particules lorsqu’ils examinent les femmes enceintes ? Cela expliquerait tout ! Cela expliquerait la différence avec les sages-femmes, cela expliquerait que les femmes dont le col reste dilaté longtemps, et donc plus souvent ausculté par les médecins, contractent toutes la fièvre !

Un éclair de génie venait à nouveau de faire avancer l’humanité.

DES MILLIERS DE VIES SAUVEES

Après cette véritable révélation, Semmelweis décide de mettre en place une nouvelle politique très strict de lavage des mains : tous les internes doivent régulièrement se désinfecter avec de l’eau chlorée. Particulièrement après chaque opération d’autopsie. Personne ne connaît encore les microbes, et à cette époque une telle pratique parait presque fantaisiste. Il faudra des années pour qu’elle se répande, et certains resteront toujours réticents à appliquer une formule “magique”. Et pourtant, au bout de seulement douze mois, Semmelweis avait déjà sauvé 300 mères et 250 bébés, rien que dans son hôpital.


* [NDLR] Macho man, I want to be a macho man




4 réflexions au sujet de « Comment un geste anodin a sauvé des milliers de vies »

  1. Le génie trouve sa source dans la simplicité.

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  2. Bravo Ingénieur Gadget! Peu de femmes sont médecins et restent davantage à des postes de subalternes...Hasard?
    Et Poker, c'est la même chose que Joker avec un "P" : Hasard? (Phoebe dans Friends).

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  3. Ping : Opportuné microbe — Apache Magazine

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