De l’infinité, des possibles et de la bêtise (infinie)
La notion d’infini est relativement complexe. Elle suscite beaucoup de paradoxes et heurte souvent le bon sens, il est donc très dangereux de la manipuler sans en connaitre quelques caractéristiques de base. Avant de dire une infinité de conneries…

Jusqu’aux travaux de Cantor sur les ensembles au XIXème siècle, elle relevait de la philosophie plus que des mathématiques. Grâce à ses recherches, on a découvert la diversité et la puissance de cette notion. Des ensembles infinis peuvent maintenant être comparés, et on sait qu’il existe des infinis « plus grand » que d’autres. Et que Chuck Norris a compté 2 fois jusqu'à l'infini...
Voyons à quoi peuvent ressembler différents ensembles infinis.
C'EST QUOI DONC L'INFINI?
Commençons par une petite définition simplette.
Infini veut d’abord dire ce qui n’a pas de fin. Cela s’applique le plus simplement du monde, en mathématiques, aux nombres entiers. Les nombres entiers sont les nombres que tout le monde connait, ce sont ceux qu’on utilise pour compter. 1, 2, 3, 4, etc. Cette liste ne s’arrête jamais. Quel que soit le nombre où l’on s’arrête, il suffit de rajouter 1 à celui-ci pour créer un nouveau nombre plus grand. Il n’y a donc pas de "nombre le plus grand", la liste ne s’arrête jamais, elle est infinie. S’il faut compter combien il y a de nombres dans cette liste, on ne pourra pas donner de nombre, on dira juste : il y en a une infinité.
Nous voici au carrefour du bon sens et des mathématiques. Jusque là tout le monde trouve cette infinité des nombres logique et cohérente de la notion d’infini venant du bon sens. C’est un truc très grand. Mais les mathématiques vont passer par là et complexifier un peu le problème...
L'INFINI DÉNOMBRABLE
Si nous avons deux listes infinies d’objets, peut-on quand même savoir s’il y en a la même quantité (aaaaaaaaah les mathématiciens et leur questions à la con !) ?
Puisqu’on ne peut pas les compter séparément et comparer les résultats (on ne pourra jamais finir de les compter), il faut trouver un autre moyen. Les mathématiciens se sont dit: on va tout simplement essayer de créer des couples entre les objets de la première et la seconde liste. Comme à l’école, lorsqu’on devait se mettre en rang par deux. Si tous les objets ont un partenaire dans l’autre liste, alors on a réussi à créer ce qu’on appelle en mathématique une bijection : chaque objet de la première liste à un partenaire unique dans la seconde, et vice-versa, ils sont donc exactement le même nombre.
Aussi choquant que cela puisse paraitre, cela signifie qu’il y a autant de nombres paires (2, 4, 6 , 8 …) que de nombres entiers au total. Surprenant n’est ce pas ? Je vois votre air dubitatif : « Ben non, il y en a deux fois moins … »
Faux !
A chaque nombre je peux associer son double (j’associe 2 à 1, 4 à 2, 6 à 3, 8 à 4, etc) je vais donc avoir associé chaque nombre à un nombre pair. Il n’en existe pas un qui soit tout seul, sans camarade. Je suis capable, dans une cour sans fin, de faire une file par deux où chaque nombre aurait pour camarade un nombre pair, il n’y aurait aucun laissé pour compte, ni dans un camp ni dans l’autre. Ceci peut paraitre paradoxal au premier abord, mais c’est tout à fait normal. C’est toujours quelque chose qui gêne au début.
Il faut cesser de se représenter une quantité infinie comme on se représente une quantité finie, à laquelle rajouter ou enlever des choses modifie sa taille. Ici on peut enlever une infinité de nombres aux nombres entiers (tous les nombres pairs), il restera une infinité de nombres (les nombres impairs).
On peut vraiment faire des trucs bizarres. Il y a beaucoup de choses de taille infinie qui sont de taille semblable à la liste des nombres entiers. Cette taille infinie est la plus petite des tailles infinies, et s’appelle infini dénombrable. Tout ce que l’on peut dénombrer, c'est-à-dire toute liste de choses dont on peut lister les éléments en leur donnant un numéro, est de taille infinie dénombrable.
EXPLICATION POUR TOI PUBLIC
Pour mieux comprendre cet infini et les choses peu communes qui surviennent dans des listes de taille infinie dénombrable, telle que la bijection nombres entiers – nombres pairs, imaginez un hôtel qui posséderait une infinité de chambres.
Une infinité dénombrable de chambres, c’est à dire qu’elles sont numérotées de 1 jusqu’à l’infini (pour faire chier DSK dans cet hôtel, il suffirait de lui dire qu’une femme de ménage l’attend nue au fond du couloir dans la dernière chambre). Malheureusement toutes les chambres sont prises, absolument toutes ! Et là un client se pointe, tranquillement, et demande une chambre. Si vous êtes le réceptionniste, surtout ne le renvoyez pas en lui disant que toutes les chambres sont prises, ce serait stupide. Dites lui simplement d’aller dans la chambre numéro 1, et de demander à son occupant d’aller prendre celle d’à côté, l’occupant de la chambre d’à côté devant faire de même. J’avoue que cela fait un sacré déplacement puisqu’une infinité de clients va devoir changer de piaule pour la piaule d’à côté juste pour une personne, mais toujours est il que vous aurez réussi à trouver une place de plus.
Encore plus fort maintenant.
Un bus avec une infinité (dénombrable) de passagers débarque un peu plus tard dans la soirée, et réclame des chambres pour tous le monde ! Le réceptionniste, malin, au lieu de se démonter, met alors en place la stratégie suivante: les occupants actuels des chambres changeront pour les chambres paires, et les passagers du bus auront les chambres impaires ; celui qui dort dans la chambre numéro n devra aller dans la chambre numéro 2 x n, et le passager du siège n devra aller dans la chambre (2 x n)+1. Ainsi chaque chambre n’est attribuée qu’une seule fois, et tous le monde a une chambre ! Pour ne pas vous faire de nœuds au cerveau, je ne vous expliquerai pas comment faire si une infinité de bus avec une infinité de passagers débarque sur le parking (vous pouvez bien sûr appeler une infinité de cars de CRS mais il existe aussi une solution pour trouver une chambre pour tous le monde).
L'INFINI PAS DÉNOMBRABLE (ATTENTION IL FAUT SUIVRE)
Bien mais alors c’est quoi un infini qui n’est pas dénombrable ? Cantor à démontré qu’il existait plusieurs tailles d’infinis. L’infini dénombrable qu’on vient de voir est le plus petit Ensuite il y a la taille de l’ensemble des nombres réels. C'est-à-dire les nombres dans leur ensemble, aussi bien 2.26 que le nombre pi, qui a une infinité de décimales, comme racine de 2, ou 1/3. On peut tous les écrire sous forme décimale.
Et pour montrer qu’il ne s’agit pas de la même infinité que celle des dénombrables on va voir la fameuse démonstration de la diagonale de Cantor, qui est un exemple célèbre de raisonnement par l’absurde.
Concentrons nous, pour la démonstration, sur tous les nombres compris entre 0 et 1 (qui sont déjà suffisamment nombreux pour dépasser la taille des nombres entiers). Ils commencent tous par 0, puis virgule, et ensuite une série de chiffre : 0,1 0,2345 0,347657…. Et peuvent même ne jamais s’arrêter. Ainsi 1/3 vaut 0.33333333…. S’ils s’arrêtent après un certain nombre de décimales nous complèteront derrière par des 0 : de cette manière ils sont tous écrit avec un nombre infini de décimales. On écrira donc 0,1 ainsi : 0,10000000…. (ce qui vaut exactement la même chose, mais cette écriture simplifie la démonstration).
Le raisonnement par l’absurde consiste à poser un postulat de départ, à en déduire un certain nombre de choses, et à constater qu’elles sont fausses, ou qu’elles contredisent le postulat de départ : dans ce cas le postulat de départ ne peut être vrai, et on a prouvé de cette manière qu’il était faux.
Comme postulat de départ, imaginons que l’infinité des nombres entre 0 et 1 est dénombrable. Dans ce cas, on peut donner à chacun de ces nombres un numéro (on pourrait les mettre chacun dans une chambre de notre hôtel par exemple). Il est donc possible de faire une liste de ces nombres allant du premier au dernier :
1) 0,07464000000…
2) 0,67686000000…
3) 0,454545454545…
4) 0,23866875678…
A partir de cette liste nous allons créer un nombre de la manière suivante : je prends la première décimale du numéro 1) de la liste et je lui rajoute 1 : cela sera la première décimale de notre nouveau nombre. Ici cela sera 0+1 donc 1. Ensuite je prends la deuxième décimale du deuxième nombre, et je lui rajoute 1, cela sera la deuxième décimale de notre nouveau nombre. Ici 7+1 donc 8. De cette manière, avec les quatre premiers nombres données içi je forme le début de nombre suivant : 0,1857… En continuant de la sorte tout le long de la liste, je fabrique un nombre qui est différent de tous les nombres présents dans cette liste, puisque la première décimale est différente du premier, la seconde décimale est différente du second, etc… tous les nombres présents ont au moins une décimale qui diffère du nouveau ainsi crée. Mais alors, ceci est absurde car je suis parti du postulat que tous les nombres entre 0 et 1 se trouvait dans ma liste, et j’ai pourtant réussi à en créer un qui ne s’y trouve pas. Cela signifie que le postulat de départ est faux, et qu’il est impossible de numéroter tous les nombres entre 0 et 1. L’infinité des nombres entre 0 et 1 est beaucoup plus grande que celle des nombres entiers.
Voilà, vous connaissez maintenant deux tailles d’infinis différentes !
Est-ce qu’il y a des infinis plus grands que celle des nombre réels ? Oui, à vrai dire on peut créer successivement des tailles d’infinis toujours croissantes. Cantor les appelait Aleph. Aleph 0 est la taille de l’ensemble des nombres entiers. Aleph 1 est la taille de l’ensemble des nombres réels. C’est aussi la taille de l’ensemble de sous parties d’un ensemble de taille Aleph 0. Du coup Aleph 2 est la taille de l’ensemble des sous parties d’un ensemble de taille Aleph 1, et on peut construire Aleph 3 à partir de Aleph 2 etc … (c’est un peu compliqué mais ça n’est pas très important de toute façon …)
REMETTONS LES POINTS SUR LES I
Maintenant j’aimerais pousser un coup de gueule. Il y a une chose qui me gave, ce sont les gens qui confondent infinité et totalité. Cela n’a rien à voir.
Le fait que l’univers soit infini ne veut pas du tout dire que tout est possible, et qu’il y a forcément je ne sais quoi tout là bas (d’ailleurs il ne l’est même pas, mais en admettant qu’il le soit). Si l’on construisait une route infinie, est ce qu’il y aurait tout d’un coup des lapins roses et des distributeurs de glaces qui pousseraient, sous prétexte que « c’est infini ? ». Ce qui m’énerve le plus ce sont ces gens qui pensent qu’il existe une infinité d’univers parallèles, et qu’il existe donc un univers dans lequel ils sont grands beaux et intelligents. Et bien dans celui-ci en tout cas ils sont sacrément cons.
Il peut très bien y avoir une infinité dénombrable d’univers parallèles, dont la seule différence serait par exemple des modifications des lointaines décimales de pi (par exemple après la millionième décimale, un peu comme pour la diagonale de Cantor, le premier univers différerait du notre par la million et unième décimale de pi, le second par la million-deuxième etc … de cette façon les altérations seraient trop faibles pour être visibles, et on se retrouvait en réalité avec une infinité d’univers semblables). D’ailleurs il n’est même pas besoin d’imaginer des différences, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir une infinité d’univers, mais qui soientt tous exactement pareils ? Pourquoi « une infinité » résonne chez eux comme « la totalité du spectre des possibles ? ».
Bon d’accord j’y vais un peu fort, dans ce genre de théorie on imagine que cette infinité d’univers parallèles a évolué à partir de conditions initiales légèrement différentes qui ont, au bout de plusieurs milliards d’années, débouché sur des univers très différents. Pourquoi pas. Je veux juste dire que même s’ils sont une infinité, il n’y a aucun lien avec le fait de couvrir le champ des possibles. Il n’y a pas d’univers parallèles avec des licornes de l’espace qui chante du Brassens en buvant du Picon et en vous massant les pieds, et ce quelles que soient les conditions initiales. Ne serait ce que parce que les lois physiques ne permettent pas tout.
Donc arrêtez de vous inventer une vie meilleure dans un monde parallèle.
Vous n’avez que celle-ci, point.
C'est un peu triste quand même: des licornes chantant du Brassens en buvant du Picon ce serait tellement cool.