Les négociations sur le climat (1/2) historique de la conversation
Première partie de notre point sur le climat. En décembre 2012, s’est tenue à Doha la grande conférence annuelle sur le climat. Quels en étaient les enjeux et quelles en sont les conclusions ? Petit tour de la question.

Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de cette conférence, il est important de la replacer dans son contexte historique. Dans cette première partie, nous tenterons de faire un bref résumé des épisodes précédents. Comme dans Plus Belle la Vie, oui.
Dès le début des années 80, le problème du réchauffement climatique prend de l’importance sur la scène internationale. Deux organismes liés aux Nations Unies se saisissent de la question : l’Organisation Mondiale Météorologique (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) qui créent conjointement le GIEC (Groupe International d’Expert sur l’évolution du Climat) en 1988. C’est autour des rapports de cet organisme d'experts que se tiendront dès lors la plupart des débats. Et le grand ballet des conférences internationales de commencer avec la conférence de Toronto en 1989.
Le tout premier protocole international sur l’environnement venait d’être signé deux ans avant... En 1987, le Protocole de Montréal mettait en place un système de règles contraignantes visant à régler le problème de la couche d’ozone. Grâce à un principe d’objectifs chiffrés de réduction de la pollution par les aérosols, ce protocole fut un véritable succès. C’est dans ce protocole qu’il faut voir les prémisses de celui de Kyoto et de la logique des quotas sur les émissions de CO2 qui occupera les négociations pendant les 20 ans à venir.
2 SEMAINES, DU ON, VACHEMENT DE OFF, MENDICITÉ MINISTÉRIELLE ET BOUILLOIRES EN POIL DE YAK : TOUT CE QU'IL FAUT SAVOIR SUR LES CONFERENCES
Cette énorme arène est une véritable fourmilière. La première semaine est dédiée à la rédaction des propositions qui seront ensuite négociées. Tout est passé au peigne fin : les forêts, les technologies, l’agriculture, la pêche, les sandales équitables et les bouilloires en poil de yack.
A côté de ces discussions officielles, se tient un énorme OFF. Les états eux-mêmes, des ONG, des laboratoires de recherche, des think-tanks, des syndicats… Tout le monde y va de son petit stand et de ses tables rondes, en jouant à « qui a l’invité le plus vendeur ». Je ne vous cache pas que vos idées passeront mieux lors d’un débat avec Al Gore qu’avec Mickael Vendetta. D’ailleurs ces side events participent en partie aux décisions qui se prennent dans le ON, car les échanges d’informations et d’idées sont nombreux entre les deux.
Et encore à côté de ce off se tient en plus le « off » du « off » : tous les gens qui viennent militer, qui ont vu de la lumière, qui vendent des t-shirts ou qui veulent dénoncer la construction d’un passage piéton.
La dernière semaine, les ministres s’invitent à la grand-messe, histoire de voir s’il reste quelques croissants gratuits dans les petits déjeuners pré-conférence : c’est l’heure des discussions sur la forme juridique à donner au texte négocié et aux financements à débloquer. C’est un épisode assez rigolo durant lequel personne n’est d’accord et où les négociations de fin de semaine virent au marathon. On voit des ministres dormir dans les couloirs et mendier des cafés (si si !!).
LE PROTOCOLE DE KYOTO (1997) : MICHEL A DIT PAS PLUS DE 2°
Jusqu’en 1997, les pays vont négocier durant ces COP un protocole permettant de réduire les émissions de CO2, dans la lignée du protocole de Montréal. Il y a alors deux approches possibles : soit on met en place une taxe carbone, soit on met en place des quotas.
La taxe carbone est très facile à calculer, et on peut l’adapter si les coûts se révèlent trop forts ou trop faibles. En revanche, il est très difficile d’en évaluer l’impact sur l’environnement : « Dis-moi Michel, une taxe à 2% sur la tonne de carbone émis, ça fait combien de réductions d’émissions ? »
Les quotas, à l’inverse, ont un impact facilement mesurable, puisqu’on impose directement la réduction que l’on veut. En revanche, il est très difficile de chiffrer le coût nécessaire pour les atteindre. Et ça, l’oncle Sam ne le digère pas : il dit quand et combien de billets verts (mais pas green) il veut bien donner. Les USA veulent un système de permis négociable pour éviter le risque d'explosion des coûts. Mais l’Europe pousse au contraire pour le système de quotas, qui sera finalement adopté. En plus, le protocole de Kyoto prévoit que les pays contraints à réduire leurs émissions ne sont que les pays industrialisés. Ces pays sont listés en Annexe 1 du protocole. Les USA refusent catégoriquement un traité contraignant qui n’inclue pas les autres pays. On ne respecte pas leur autorité ? En 2000, durant la COP de la Haye, les USA se retirent définitivement du protocole de Kyoto !
Ce protocole, signé en 1997 par 175 pays prévoit les choses suivantes : le calcul des réductions visées par chaque pays est variable, et elles doivent s’effectuer entre 2008 et 2012. Il ne vise que les pays de l’annexe 1, et se base sur les émissions de l’année 1990. Le but est d’éviter d’avoir plus de 2° de réchauffement climatique et ce, via 3 mécanismes.
(1) Un marché du carbone permettant d’échanger les droits d’émissions entre ceux qui en ont trop et ceux qui n’en ont pas assez, s’assurant que les objectifs globaux restent atteints. Michel ne peut pas dire « pfff c’est trop dur, j’ai pas assez de crédits carbone pour développer mon entreprise et polluer comme je veux », parce que Michel, il peut en acheter à ceux qui en ont pas besoin.
(2) Une aide aux investissements permettant de réduire son empreinte carbone (via des crédits carbone).
(3) Une coopération technologique entre les pays industrialisés et les pays en transition.
Bien que signé en 1997, Kyoto n’entre en vigueur qu’en 2005, beaucoup de points ayant été laissés en suspens au moment de sa signature. Il fallut donc encore plusieurs années pour se mettre d’accord. C’est d’ailleurs pendant ces négociations que les USA sont partis (je l’ai dit plus haut, si vous n’avez pas suivi, c’est de votre faute).
LA MONTEE DES PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT : LA MÉMOIRE SÉLECTIVE DE MICHEL
Malgré le succès apparent du protocole de Kyoto, en coulisses, les choses ne sont pas aussi roses.
Et puis, ne prendre en compte que la variable température est beaucoup trop réducteur : les PED (Pays en Développement) ne sont pas du tout affectés de la même manière par le réchauffement climatique. Parfois, c’est l’eau qui monte, parfois ce sont les maladies qui grattent, parfois c’est l’eau qui descend (du coup, on a soif). Bref, non seulement ils ne polluent pas, mais en plus ils en subissent toutes les conséquences. Faudrait peut-être pas charrier et filer un petit coup de main !
C’est sur la base de telles revendications que sera institué le SBSTA en 1995, afin de créer un espace de discussion et de contestation entre GIEC et décideurs. L’ONU et le GIEC vont d’ailleurs être très compréhensifs et essayer de satisfaire les PED.
Car le rapport de 2001 du GIEC est plus alarmant, et intègre un nouveau chapitre. Les experts ont écouté les revendications des pays émergents : ce chapitre discute des problèmes d’adaptations aux changements climatiques et de l’évaluation de son impact. On voit alors émerger plusieurs groupes de petits pays qui veulent mettre en avant ces problèmes d’adaptation : les PMA (Pays les Moins Avancés), la coalition des pays avec forêts pluviales, les AOSIS (pays qui risquent d’être submergés par la hausse du niveau des mers), le BASIC (gros groupe contenant Brésil, Inde, Chine…) et bien d’autres.
Entre 2002 et 2007, c’est le groupe G77+Chine qui fait parler de lui. Il regroupe de nombreux petits pays, associés à la Chine, qui arrivent par un activisme très fort à faire reconnaître l’adaptation au changement comme thème central des COP.
LE MANDAT DE BALI (2007) : MICHEL D'ACCORD AVEC LUI-MÊME À L'INSU DE SON PLEIN GRÉ ?
La conférence de Bali en 2007 marque un grand tournant. Kyoto est en vigueur depuis 2005, il y a donc dans chaque COP deux conférences en parallèle : les signataires de Kyoto qui discutent du futur à donner à ce protocole, et l’ensemble des pays qui discutent d’un éventuel protocole commun. Les pays concernés par Kyoto n’étant que certains pays développés, il s’agit d’un groupe plutôt restreint. L’Inde et la Chine étaient encore considérés comme émergents en 1997, donc non contraints par Kyoto, et les USA se sont retirés. Il ne reste guère plus que l’Europe, le Japon et l’Australie, même le Canada ayant avoué qu’il ne tiendrait pas ses engagements. On parlera pourtant toujours beaucoup du protocole de Kyoto, surtout parce que c’est le seul véritablement en vigueur à ce jour, avec son ensemble de mécanismes en place, et qu’il a donc valeur d’exemple.
Mais ce qui nous intéresse pour l’instant à Bali, ce sont les USA, revenus sur la scène des négociations. Et c’est ici, à Bali, que l’on voit enfin tous les pays chercher à trouver un accord commun. Allelujah ! Enfin, ne crions pas victoire trop vite : les discussions sont naturellement passionnées, vu qu’on est nombreux, et si tout le monde est d’accord pour discuter ensemble, ils ne le font pas forcément à tour de rôle. Les PED refusent de se contraindre à l’horizon de 2050, tenant ferme sur leur position que les pays développés sont les premiers à devoir faire un effort en mémoire de leur pollution passée : ils exigent que ceux-ci s’engagent dans une première étape à l’horizon 2020, et que eux suivront, plus tard, quand ils auront un trou dans leur emploi du temps, pour l’instant ils ont piscine. Les USA conservent toujours le même état d’esprit : ils refusent des contraintes à 2020 qui n’engagent que les pays développés, mais veulent des contraintes partagées à l’horizon 2050. Ils reconnaissent enfin que le problème est sérieux, tout en maintenant des exigences fortes.
Ce qui est bien mais pas top.
Cette discussion entre les PED et les USA manquera de faire capoter la COP de Bali, en ne débouchant sur rien. Mais les négociateurs sont passés maîtres dans l’art de fabriquer un accord au débotté dans les dernières heures de la conférence... « Attention Michel : top ! Tu as une nuit pour pondre 200 pages de traité bien léché qui mettront tous les pays d’accord. Si si tu peux le faire, demande de l’aide à la Colombie si t’as un coup de mou. » A l’arraché donc, le « mandat de Bali » fut signé, qu’on peut considérer d’une certaine manière comme le principe fondateur des négociations encore actuelles. L’ensemble des pays reconnaît la nécessité d’un traité permettant de mettre en place des réductions d’émissions.
Quatre grands axes devront être discutés durant les deux années suivantes, pour aboutir à un super traité qui fait plaisir à tout le monde dans la COP qui se tiendra deux ans plus tard à Copenhague. Ces quatre axes fondamentaux du mandat de Bali sont les suivants :
(1) Il faut mettre en place des actions pour réduire les émissions.
(2) Il faut trouver des solutions pour s’adapter au réchauffement.
(3) Il faut mettre en place des transferts de technologies des pays développés vers les pays en développement.
(4) Il faut mettre en place des mécanismes financiers.
Le gros problème toujours en suspens, c’est qu’il n’existe pas de visions communes à tous les pays pour mettre en place ces solutions ; le thème de l’adaptation est vaste et complexe, et regroupe au moins deux sujets : la reconnaissance d’une injustice et d’une dette écologique à réparer des pays développés envers les autres pays d’une part, ainsi qu’une plus grande vulnérabilité des PED aux changements prédits d’autre part.
C’est autour de cette vision commune que vont se cristalliser les débats postérieurs à Bali.
LA CRISE DE COPENHAGUE (2009) : QUAND MICHEL ESSAIE DE CONVAINCRE 195 PERSONNES, 195 FOIS...
Deux actions fondamentales sont alors décidées.
Premièrement, les groupes de réflexions débutés à Bali sont reconduits. Cela signifie que les pays ne renoncent pas, et continueront de chercher des réponses aux quatre axes développés à Bali jusqu’à ce qu’en émerge des solutions ou la mort par épuisement.
Ensuite, les pays signataires acceptent de recenser les différentes actions qu’ils peuvent mener dans leur propre pays individuellement.
C’est sur ce point particulier que l’influence de la Chine et des USA se fait particulièrement ressentir : la philosophie des COP est en train de changer. On passe d’une vision top-down à une vision bottom-up. Le traité du genre « loi contraignante qui fixe des objectifs à tous les pays » est la vision top-down. La Chine et les USA ne voulaient pas de ce type de contrainte, et l’accord de Copenhague semble leur donner raison. La vision est maintenant bottom-up : les pays décident de ce qu’ils sont capables de faire, et les initiatives individuelles seront ensuite coordonnées au niveau supérieur.
CANCUN (2010) ET DURBAN (2011) : MICHEL EST D'ACCORD POUR CONTINUER DE DISCUTER (CE QUI NE L'ENGAGE PAS À GRAND CHOSE)Pour éviter le couac de Copenhague, la conférence de Cancun en 2010 est préparée minutieusement, et ses conclusions peuvent être considérées comme un succès : les négociations reprennent du poil de la bête et vont de l’avant. Il est décidé que des solutions concrètes seront mises en place le long des 4 axes développés à Bali. Les groupes de travail sont encore une fois reconduits, mais on affiche maintenant une volonté claire de les voir aboutir sur du concret : on décide notamment qu’il faudra mettre en place un organisme financier auquel tous les pays participeront.
A Durban en 2011, une feuille de route est adoptée : les futures négociations devront aboutir en 2015 sur un traité commun applicable en 2020. En parallèle de cela, les pays signataires du protocole de Kyoto s’engagent à le reconduire pour la période 2013-2020. Les clauses devront encore être définies à Doha, mais au moins, ils se sont mis d’accord pour continuer.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES POUR DOHA
Pour résumer la situation, depuis Bali, l’ensemble des pays est d’accord pour travailler ensemble contre le réchauffement et ses conséquences. Mais ils ont compris depuis Copenhague que cela va être très très compliqué, donc ils ont mis en place plein de groupes de réflexions qui devront petit à petit se mettre d’accord jusqu’en 2015 pour mettre en place une variété de solutions ainsi que du pognon sur la table. A Doha, la grosse question était « bon d’accord, on va bosser jusqu’à 2015 sur un nouveau traité, mais concrètement, on va faire quoi et qui va payer ? » La réponse donnée à cette question durant la conférence de Doha de Décembre 2012 sera expliquée dans le prochain épisode.
Que de suspense…
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