La distinction entre légumes et fruits parait évidente pour tout le monde. Du moins tant qu’on n'y réfléchit pas trop. Dès qu’on se penche un peu sur le sujet, chacun y va de sa petite théorie, et la tomate devient la pomme de discorde : est-elle un fruit ou un légume ? Ce débat fatigant a le mérite d’éveiller la curiosité et de se poser d’autres questions concernant la classification biologique : quelle est la différence entre le monde animal et végétal ? Entre le monde minéral et le monde du vivant ? Si cela vous paraît trop facile, je vous pose une colle : dans quelle catégorie se trouve le champignon ? (réponse à la fin de l’article).

FRUIT OU LEGUMES, LE FAUX DEBAT

Commençons par crever l’abcès, histoire d’en finir une bonne fois pour toute avec cette foutue histoire de tomate (t’es lourd avec ça, c’est toi la tomate).
Le fruit est défini en botanique comme étant l’évolution de l’ovaire de la plante qui va servir ensuite à protéger les graines. Le pistil de la fleur se transforme, la fleur disparaît et laisse place à un fruit contenant l’ovule, c’est-à-dire les graines (donc oui, techniquement une salade de fruits serait une salade d’ovaires). Parfois la nature triche un peu et il s’agit d’autres parties de la fleur qui sont transformées, comme le réceptacle floral, ce qui donne en botanique de faux fruits, comme la pomme ou la fraise. Cela peut aussi venir de la transformation de plusieurs fleurs en un seul fruit, comme la mûre ou l’ananas. Voilà pour ce qui est du fruit.

---

Le légume maintenant : qu’est ce qui définit un légume ?
Et bien en botanique, rien. Un légume n’existe pas. Bazinga. Ce terme est complètement vague, et n’est pas un terme scientifique mais culinaire. Il désigne plus ou moins les plantes potagères, avec des extensions douteuses suivant les cas, pouvant même désigner tout ce qui accompagne une viande ou un poisson. Arrêtez donc de chercher. Circulez, il n’y a rien à voir : la tomate est techniquement un fruit, comme la plupart des légumes que nous mangeons.
Les légumes c’est pour Top Chef. Et si vous faites un canard aux pruneaux vous pouvez très bien dire que les pruneaux sont des légumes, puisqu’ils accompagnent le plat, personne ne viendra vous bruler sur un bûcher au nom de la science (dommage, le Giordano Bruno des pruneaux ça sonnait bien).

Toute cette polémique vient donc d’un simple malentendu entre terme scientifique d’une part et terme culinaire d’autre part. M’est avis que cette polémique n’a pas fini d’enflammer les fins de repas. Pour l’anecdote, ce débat fut présenté devant la Cour Suprême des Etats-Unis en 1893. Il fut décidé à l’unanimité que la tomate serait reconnue comme un légume, et que les droits de douane associés devaient s’appliquer, même si son statut de fruit fut reconnu d’un point de vue botanique.

COMMENT DISTINGUE-T-ON MINÉRAL, VÉGÉTAL ET ANIMAL ?

Maintenant qu’on est parti dans les questions  « nature et découverte » autant faire le boulot jusqu’au bout... La question « comment distingue-t-on minéral, végétal et animal ? » peut paraître simple. En réalité elle ne l’est pas du tout. Et vous allez voir que celui qui casse la baraque dans cette histoire c’est ce fameux champignon.

Cette classification du monde qui nous entoure entre minéral, végétal et animal est assez intuitive, et date d’Aristote. Voici comment les scientifiques jusqu’au XIXème se sont débrouillés pour répartir les choses dans chacune de ces cases...

MINÉRAL TOI-MÊME

Premièrement, le monde minéral (dans lequel il n’y a pas que de l’eau). Il est surtout défini par opposition avec le vivant, parce qu’il désigne à peu près n’importe quoi qui ne l’est pas.
Penchons-nous donc un peu sur la définition scientifique d’un être vivant : un être vivant est un être complexe auto-organisé et aux propriétés homéostatiques. C’est clair non ? Bon j’avoue, c’est aussi transparent qu’un compte en suisse.
Pour être sûr que tout le monde a bien compris, petite explication de texte. Complexe signifie qu’il est composé de parties, auto-organisé: que l’être vivant possède en lui les plans de son architecture ; et enfin homéostatique: qu’il agit pour maintenir son état constant malgré les aléas extérieurs.  Et bien le minéral c’est tout simplement le contraire. Un truc simple qui se laisse dégrader par son environnement jusqu’à disparaître.

Alors voyons si personne ne s’est perdu en route : une voiture n’est pas vivante, car elle est composée de partie mais n’est pas auto-organisée. C’est une usine qui l’a construite. Un flocon de neige est complexe et auto-organisé, puisque c’est le jeu des forces statiques internes qui l’a façonné, mais il n'est pas homéostatique : si on le chauffe il fondra sans s’en émouvoir, et ne fera rien pour empêcher sa dégradation. Alors que Nabila, elle, est bien vivante (contrairement à son chien décédé sous ses fesses) : elle est composée de parties (les cheveux, les faux-cils, les lèvres, les seins), elle est auto-organisée (c’est elle qui a donné les plans du ravalement de façade au chirurgien) et elle est homéostatique (elle a toujours du shampoing pour combattre les cheveux gras).

ANIMAL VS VÉGÉTAL

Ensuite, on a tendance à classer les êtres vivants dans deux catégories : animales et végétales. Voici à peu près comment on pourrait opérer cette distinction : les végétaux peuvent se nourrir du monde minéral et fabriquer leur propre matière organique, à partir de ce qu’ils trouvent dans le sol, dans l’air... ils fabriquent toute la chimie du vivant. Ce sont de vraies usines à matière organique (chimie complexe à base de carbone, hydrogène et oxygène). Les animaux en revanche en sont incapables : il leur faut manger des plantes ou d’autres animaux pour pouvoir s’alimenter en matière organique. Par conséquent nous sommes très dépendant des végétaux : sans plantes le règne animal s’effondrerait, car il n’y aurait plus de production de matière organique ! Et alors là un régime à base de cailloux ne pourra pas vous sauver, car votre corps ne sait pas le transformer.

TROP BEAU POUR ETRE VRAI

Une fois qu’on a compris on se dit que c’est tellement simple, que la nature est bien faite et que c’est beau.

Et le champignon dans tout ça ? Vous l’aviez oublié ? Et bien figurez-vous que ça n’est pas une plante, car il est incapable de produire sa propre matière organique ! Surprenant n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas non plus un animal, faut pas déconner,  car il n’ingère pas sa nourriture, mais l’absorbe. Mais alors c’est quoi ? Et bien les champignons ont en réalité une classe à part. Et c’est là que s’effondre toute la belle classification aristotélicienne, minérale, végétale et animale.

Depuis le XIXème siècle, les scientifiques ne cessent de se battre et de rajouter des catégories. La dernière classification en date remonte à 1994, et découpe le monde vivant en deux « Empires ». Ces deux empires ne sont pas les deux côtés de la Force, mais les deux types de cellule possible : une cellule vivante peut avoir un noyau ou pas. Les chanceuses qui en ont sont des cellules eucaryotes, ce qui rend aimable, et les cellules qui n’en ont pas sont les cellules procaryotes. Voilà deux empires qui ont le mérite d’être simple.

Ensuite on découpe chacun de ces empires en « Règnes ».
Il y a six règnes en tout. Dans l’empire des procaryotes par exemple, il n’y a qu’un règne, celui des bactéries. Bien peinardes, elles ont un Empire à elles toutes seules !
Je suis jaloux, parce que, nous les eucaryotes, on est cinq à devoir se partager le nôtre d'Empire. Il y a les plantes et les animaux bien sûr, mais aussi les champignons, les protozoaires et les chromistes. Et alors là ne cherchez pas trop ce que c’est, parce que les scientifiques découvrent chaque jour des exceptions qui les obligent à revoir leur catégorie et à changer de nom. Après, ils sont colère et on ne comprend plus rien. Mieux vaut donc ne pas trop les énerver en posant les questions qui fâchent. Par exemple, les protozoaires ce sont des eucaryotes unicellulaires. C’est-à-dire qu’elles ont un noyau dans leur unique cellule. Mais ça c’est vrai pour tous les protistes dont protozoaires sont une catégorie particulière : en plus d’être eucaryotes unicellulaire elles sont hétérotrophes, c’est-à-dire qu’elles se nourrissent par phagocytose…

Bref vous l’aurez compris: les plantes et les animaux, c’est bien suffisant pour aujourd’hui.